Le Vercors pour se chauffer au soleil levant, Taillefer pour se cramer au soleil tapant, Belledonne pour se finir au soleil couchant, Chartreuse pour se révéler au soleil disparaissant….
L’UT4M, ça fait près d’un an que la décision est prise : depuis que j’ai vu, par hasard, un article dans le Daubé présentant un nouvel ultra trail autour de Grenoble, j’ai su instantanément que ce serait là ma première expérience de 100 miles… Tourner autour de la maison, et arriver (en croisant les doigts) parc Paul Mistral, à 2 pas d’où j’ai habité pendant 10 ans, c’était une évidence… Malgré seulement 3 ans à mettre un dossard sur le ventre avec une paire de running aux pieds.
Entraînement difficile, course facile, dit-on. Toutes les courses de l’année ont été dures, les entraînements presque autant… A 4 semaines de l’échéance, encore un nouveau demi-échec aux 6 h des 2 Alpes : parti trop vite, comme d’hab. A croire que le trail n’est pas fait pour moi : trop de gestion pour mon neurone…
Repos, vacances en famille, nuits interminables, puis arrive la dernière semaine… Semaine de reprise de boulot. J’ai prévu un plan sieste tous les midis, mais n’arrive jamais à m’endormir. Déplacement pro à Biarritz (y’a pire…), mais je flingue mon cardio par une baignade crapuleuse. Puis je crève en rentrant le soir : plus de voiture pour le vendredi matin… Tout part en vrille au moment fatidique…
Seules les nuits sont bonnes, grâce aux bons conseils du bouquin de Guillaume Millet : du bon travail sur la respiration… Et la dernière nuit tourne autour de 4-5h, ce qui est plutôt bon !
4h43, je rentre dans le sas. Dernier sms, avant de couper le téléphone. MP3. Tant de boulot pour en arriver là, maintenant il faut se faire plaiz… Et les premiers km sont durs : cardio 20 pulse trop haut, rythme de tortue, et des milliers de coureurs qui me passent… Bon sang, qu’est-ce qui se passe ? Il me faudra 2 heures pour retrouver un cardio conforme à mes attentes. Je suis les autres tranquillement, un poil au-dessus des fc prévues. Mais les jambes tournent et je suis dans ma bulle, alors… Au tremplin, premiers encouragements, ça fait chaud au cœur : je trouverai des copains à tous les ravitos pour m’encourager, alors que je n’ai pas d’assistance ! Dans la montée du Grand Cheval, un voisin me dit qu’on va trop vite… Je suis d’accord, mais lui ne ralentit pas… alors il file. La musique techno de Lans couvre mon MP3, mais le rythme ne change pas. Bascule, et voilà St Paul de Varces. Seb l’ultra raideur fait qq m avec moi. Il me dit que PH est 10 mn devant (oh la, ce gars là fait partie des tous bons, c’est bon signe !). Remontée d’Uriol avec Luca : on papotte toute la montée, tout en gardant bon rythme. Dans la descente plein sud, ca cogne et j’entends les premiers râles de ceux qui n’ont plus de flotte : je finis à vide, mais toujours bien hydraté. Et je retrouve mon frangin et mon neveu, tout déboussolé de voir l’oncle suant… Ravito express, et ca repart pour un peu de bitume où je papotte avec le ptiot : « tu va courir cette nuit ??? »… Bizarre cet oncle là ! Saint Georges de Commiers : putain, j’ai les watts, c’est dément. Prêt de 50 kil, et l’impression d’être à peine chaud… Je fais passer le message à ma douce : ton homme est en forme ! La montée de Lachal a déjà été repérée, et je sais qu’on trouve des fontaines régulièrement : je mouille ma casquette à chaque fois, et remplis quand nécessaire : redoutable idée, qui m’a permis de remonter plusieurs coureurs. Je marche beaucoup, et m’alimente super bien. Bascule, puis Laffrey où le ravito est express, comme à chaque fois. Un peu de montagnes russes jusqu’à La Morte, avec des montées bien cassantes : je marche toujours fort, et descends prudemment mais efficacement : je rattrape toujours du monde, mais ne sais pas du tout où j’en suis au classement (en fait, une tonne de sms m’attendait à l’arrivée avec mes classements !!).
La Morte, In / Out : express, et des copains du DSA qui me voit vraiment pêchu. Je demande mon classement : 27 è. C’est déjà très bien. Sauf que c’est faux…
Pas de la vache, plein cagnard : une vraie montée de skieur alpiniste, où je passe la surmultipliée et double la 1ère féminine. Je ne connais pas cette partie, et trouve avec chance un ravito liquide à la cabane de Brouffier : je venais de remplir mon bidon dans le lac, avec pour ferme intention de ne pas boire cette eau douteuse… Sauvé ! C’est un peu longuet jusqu’au Poursollet mais j’y retrouve mon pote au ravito (enfin celui qui m’avait pris en stop un mois plus tôt lors d’une reco et conduit, moyennant un détour, au départ de Rioupéroux). On échange 2 mots, et j’enchaîne : je connais la montée des chalets de la Barrière (prise dans l’autre sens avec les enfants sur le dos !). Bientôt la bascule… Et là, coup de massue : je ne suis plus 26è (j’avais doublé un solo)… Mais dans le top 10… Le précédent classement était relais compris… Truc de malade, je saute comme un cabri (Kilian Style !). D’autant que je commence juste à sentir les kil… Pour la petite histoire, j’arrive à 85 km avec environ le même temps que le Grand Duc 2011 ou l’UTV 2012. Ravito : les copains du relai sont là, à peine moins excités que moi : grand moment de partage du bonheur. On m’annonce 11ème arrivé… mais seuls 5 seraient repartis. Ca tourne 5 secondes dans ma tête : j’oublie le sms aux frangins, le repas chaud et le repos pour la stratégie blitzkrieg. Changement de T-shirt, potion magique enfournée (merci aroche !), et banzai sur mon terrain : le monstre raide. Je tiens le même temps que lors de ma reco (mais avec juste 80 km de plus dans les pattes), et la nuit tombe. Je vis un rêve éveillé où les jambes répondent toujours après tant de temps. Je ne regarde plus le chrono (je ne l’ai jamais regardé, en fait), et m’assure que le cardio est bon. Des pointes à 1000 m/h dans la montée, ca me fait presque peur. Combien de temps je vais tenir ? X de Chamrousse, un autre copain débarque : « je suis parti avant les autres, pour être sur de te voir ». Ca fait chaud au cœur, mais pas question de faire dans l’émotion. J’apprendrai plus tard que Charles, l’un des favoris, est arrêté là, carbo… Si j’avais su, je lui aurais fait un petit encouragement. Descente infâme mais courte, et voilà la Jasse Bralard, que je craignais fort. Mais je tombe sur le bon lièvre (bien embêté d’avoir une sangsue aux fesses) qui me porte qq centaines de mètres, avant que je ne le lâche irrémédiablement. Je sens que rien de m’arrête. Ce qui devait être cassant et très dur passe comme une lettre à la Poste, et j’arrive à la Pra rapidement. Ravito amical, et je mate la feuille de pointage : 6è… Truc de ouf. Je n’en crois pas mes guibolles, et ils me disent que tous les gus devant disent la même chose…
Colon, c’est raide mais connu, mais le skieur alpiniste bourrin que je suis pète ses 2 bâtons coup sur coup. Ah merde, mes batons carbone fait maison… Ca va craindre pour Belledonne. La bascule fait mal aux quilles. Cassant au début, (très) longuet ensuite. Mais en forme quand même au ravito (ralentissez qu’ils me disent au ravito… Alors que je peux jouer la tête… faut pas compter sur moi !).
La fin de la descente odieuse, le plat du Gresivaudan inqualifiable, même si on fait cause commune avec un relai pour courir le plus possible. Défait à St Nazaire, mes bonnes résolutions sont battues en brêche : plus envie de m’alimenter, les paupières qui tombent, une vague soupette dans le ventre… (Regardez donc mon état, non simulé, pris par les copains : annicketjj.blogspot.fr). Mathieu, qui en connait un rayon quand on dit qu’on rame, me dégotte des bâtons pour la suite. Salvateur !
Impossible de courir en sortant, et la montée de la faita se fait en essayant de trouver des micro pauses de sommeil qui s’avèrent infructueuses. Au col, c’est décidé, je dors. Le jour a du mal à poindre, et le sac fait un bon oreiller. Réveil réglé 15 mn plus tard, et c’est finalement au bout de 10 que je me lève, comme un robot. C’est reparti, d’abord tranquille, puis les forces reviennent, miraculeusement. Jusqu’au habert, c’est survie. Ensuite, c’est le mode machine, guidé d’abord par une première fille en relai, à qui je m’accroche jusqu’à Bachasson. Je connais tous les cailloux de la montée suivante, et donc je commence à avoiner et distance tout le monde. Les jambes sont miraculeusement revenues dans les montées, mais au pointage de la brèche arnaud on m’annonce un solo intercalé que je n’ai pas vu… Dans ma tête je suis 7e, donc, le 6ème à 8 mn, le 5ème à plus de 30… descente archi connue, où je rattrape Marc, régulièrement sur le podium du Grand Duc. Qq mots, et je file vers mon destin. Plusieurs spectateurs me disent que devant, les gars ont l’air cramé, et moi moins : c’est le moment de lâcher les freins, même si je suis déjà sur les disques… Arrivé au Sappey, je m’enfile qq bonbons crema, remplis la bouteille, demande si ça va à un autre qui semble bien canné (je n’étais plus sur qu’il était solo, mais j’étais surmotivé pour rattraper autant que possible : il me dira à l’arrivée que lorsqu’il m’a vu partir (48 secondes au ravitaillement !) et m’enfuir au loin, il a perdu tout espoir…
Pareil un poil plus loin, dans la montée où le 5ème tire la langue. Coup de poker : je pars pour une vertical race de 350 m, à 1100 m/h pdt qq minutes, pour tuer toute envie de suivre, et 900 m/h ensuite jusqu’en haut. Je rejoins une autre fille en relai au sommet, qui me fait le lièvre dans la descente. Maintenant, chaque caillou m’est connu, il faut serrer les dents. Vence, juste du liquide, et ça sent bon. On repart ensemble avec ma nouvelle copine, mais je suis trop déchainé dans la montée. Je sais que je ne peux tenir ma place qu’en avoinant à la montée. Dernière bascule, ca tire de partout. Elle me rattrape et m’attend pour m’entrainer dans son sillage. Une aide sacrément précieuse pendant de longues minutes (merci à toi !), mais d’autres relais arrivent en dessous de la Bastille, et je lui dis de filer. Maintenant, c’est toutes les 20 sec que je me retourne… Surtout faut pas que ça revienne. Je me doute que tout le monde a mal partout, mais le plat des berges de l’Isère est odieux. Doublé par les relais (que des filles !), à qui je demande à toutes « t’as vu un maillot jaune derrière toi ? ». L’affaire semble pliée, et la perspective est suffisamment lointaine pour m’assurer que le suivant est loin. Dernier croisement de route, on contourne la piste : c’est pas possible, j’ai réussi à tenir… Arrivée, les potes sont là, et me font une sacrée fête… Truc de malade ! Emotion très très forte… Même dans mes rêves les plus fous, je ne pouvais pas imaginer une telle place…
Encore qq jours après, je suis sur un petit nuage. Pas certain de comprendre pourquoi ça a si bien marché que ça. Mais j’ai bien quelques pistes :
- départ finalement le plus prudent parmi les 9 premiers (je craignais la distance, je fais les moins bons temps sur les 4 premières sections),
- hygiène de vie les jours précédents (alimentation, sommeil : merci Guillaume Millet !),
- profil avec des montées longues et raides (passé de skieur alpiniste : avec le meilleur temps sur la section du St Eynard où j’étais déchaîné),
- pauses très courtes qui m’ont permis de gratter pas mal de place, même si je n’avais pas d’assistance (stratégifié en préparation),
- les encouragements des copains / famille tout au long du parcours alors que ce n’était pas prévu,
- et puis aussi les favoris qui couinent tous les uns après les autres…
- Et probablement une envie irrépressible d’être enfin présent le jour J, à domicile…
Sébastien Cadeau-Belliard